Automne 2021

La révolution ESG transforme le marché des obligations

Points de vue sur la responsabilité fiduciaire qui oblige à repenser les placements en obligations, à repérer les risques liés aux facteurs ESG et à surmonter les obstacles empêchant leur prise en compte.

2 oct. 2021

La révolution ESG continue de se propager 

Au cours des cinq dernières années, l’essor de l’investissement responsable a transformé les marchés boursiers, tant pour les émetteurs que pour les investisseurs. Toutefois, les marchés des titres à revenu fixe ont toujours été à la traîne en ce qui concerne les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance – jusqu’à tout récemment.

Selon des données récentes, il semble que la révolution ESG commence enfin dans l’univers des obligations. Le produit des émissions d’obligations de sociétés américaines axées sur les facteurs ESG a atteint 162,9 milliards de dollars depuis le début de l’année, contre 100,5 milliards de dollars pendant la même période de 2020 et 44,3 milliards de dollars en 20191. Bien que cela soit minime en comparaison à l’ensemble du marché des facteurs ESG qui se chiffre à 35 000 milliards de dollars2, la tendance montre un changement clé dans la demande et l’émission d’obligations. C’est-à-dire que les avantages de l’investissement responsable – qui sont bien connus pour les actions – sont amplifiés lorsqu’on les applique au sous-ensemble réduit, mais croissant, des titres à revenu fixe axés sur les facteurs ESG.


Pourquoi les actions ont mené le bal

L’investissement responsable a gagné en notoriété en intégrant les passifs éventuels auparavant couverts dans les notes de bas de page au processus de sélection des actions. Les risques qui ne figuraient pas au bilan ou qui étaient relégués aux pages intérieures des rapports annuels ont été mis en lumière lorsque les investisseurs ont commencé à poser des questions plus difficiles sur les enjeux ESG. Cette nouvelle transparence a souvent révélé des risques cachés pouvant nuire aux résultats d’une entreprise et faire du tort à la réputation d’un investisseur ayant l’obligation fiduciaire d’agir au mieux des intérêts du client.

En fait, un rapport phare publié par le Pacte mondial des Nations Unies et l’Initiative financière du Programme des Nations Unies énonce sans équivoque que « le fait de ne pas prendre en compte les facteurs de valeur des placements à long terme, notamment les questions environnementales, sociales et de gouvernance, dans le processus d’investissement est un manquement à l’obligation fiduciaire »3. De surcroit, le rapport ajoute que les plus grandes caisses de retraite du Canada ont fait preuve d’un engagement ferme à l’égard des enjeux à long terme, mais que les propriétaires d’actifs canadiens sont généralement à la traîne de leurs homologues européens en ce qui concerne les facteurs ESG. Le défi pour un bureau de gestion familiale ou une société de conseils en placement est de déterminer comment combler l’écart ESG étant donné qu’ils n’ont pas l’envergure et les ressources nécessaires pour s’engager comme un régime de retraite.


Pourquoi les obligations ont été à la traîne

Selon un rapport récent, la différence entre les actions et les titres à revenu fixe se situe dans le vote par procuration et la mobilisation des actionnaires4. Voyez la différence : les gestionnaires d’actions qui achètent les actions d’une société ont l’obligation d’agir au mieux des intérêts de leurs clients. Ils sont invités à faire des commentaires sur les changements cruciaux liés à l’avenir de la société, alors que les gestionnaires de portefeuille de titres à revenu fixe n’investissent pas, mais prêtent de l’argent afin de générer un rendement. Il n’y a pas de propriété, pas de mobilisation, pas de vote. En conséquence, les investisseurs en obligations peuvent penser qu’ils n’ont aucune influence sur leurs placements. Il se pourrait qu’ils décident d’intégrer les facteurs ESG de façon implicite, plutôt qu’explicite, en raison de la mauvaise perception fondamentale qu’ils ont de leur rôle de prêteur. 


Repenser la pondération des obligations ESG

Bien entendu, cette idée est fausse, parce que les propriétaires et les prêteurs devraient vouloir repérer les risques hors bilan. Les gestionnaires d’actions se concentrent naturellement sur l’aspect « rendements » de l’équation. Tandis que les gestionnaires d’obligations sont généralement plus préoccupés par la préservation du capital et passent du temps à chercher un flux de rendement stable en guise de protection contre les risques liés aux mouvements de trésorerie. La sécurité est plus inhérente à leur rôle – pas moins. Certains soutiendront que, comme les détenteurs d’obligations ont des droits plus importants sur les actifs en cas de faillite, ils sont moins exposés au risque lié aux facteurs ESG. Même si cela peut-être vrai à petite échelle, lorsqu’on examine le marché obligataire d’un point de vue macroéconomique, le risque est beaucoup plus important. Selon la Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA), en 2021, le total de la dette mondiale était estimé à 119 000 milliards de dollars, les États-Unis à eux seuls comptant pour 46 000 milliards de dollars. En comparaison, la capitalisation boursière actuelle de l’indice S&P 500 est d’environ 40 000 milliards de dollars. Sur le plan de la catégorie d’actif dans son ensemble, les enjeux ESG sont un facteur que les intervenants du marché obligataire doivent prendre en considération.

La nécessité d’une plus grande prudence découle également de la faiblesse record des taux d’intérêt. Ce n’est un secret pour personne que les émissions d’obligations de sociétés sont à un creux historique en raison de l’afflux d’argent bon marché des banques centrales. Ce n’est pas un secret non plus que cette tendance devrait se poursuivre à court terme. Rien que pour cela, les gestionnaires de titres à revenu fixe devraient se sentir obligés d’exercer plus de pression et de surveiller de plus près les entités emprunteuses, en particulier pour les titres à long terme qui sont plus susceptibles d’être touchés par un risque lié aux facteurs ESG.

À titre d’exemple : un des premiers exploitants de navires de croisière au monde a été un émetteur actif d’obligations à rendement élevé depuis le début de la pandémie. Cette entreprise tire ses revenus du tourisme nautique. Serait-il donc raisonnable de supposer que les conditions météorologiques extrêmes liées à la hausse des températures de la mer pourraient avoir une incidence négative sur ses activités? Une perspective axée sur les facteurs ESG tiendrait au moins compte de la question, tandis qu’une approche traditionnelle pourrait ignorer l’incidence de facteurs non financiers. 

L’ampleur des risques liés au climat est telle que même les émetteurs d’obligations souveraines « sans risque », comme les États-Unis et le Canada, ne peuvent pas être considérés comme protégés. En fait, un certain nombre de propriétaires d’actifs importants collaborent actuellement avec des organismes des Nations Unies afin d’établir un cadre d’évaluation des risques climatiques à l’échelle des États-nations. 

En général, les gestionnaires de titres à revenu fixe investissent également dans des sociétés de plus petite taille et moins bien cotées que celles choisies par les gestionnaires de portefeuille d’actions, ce qui fait d’eux la seule voix à la table et confère au gestionnaire d’obligations une influence démesurée sur les décisions de gestion. 


Obstacles à la mise en œuvre

Les bureaux de gestion familiale ou les cabinets de conseil en placements qui cherchent à intégrer les facteurs ESG dans la sélection des titres à revenu fixe de leurs portefeuilles de placements publics doivent tenir compte de certains facteurs : combien de temps pouvez-vous consacrer à la recherche? Quels en sont les coûts? L’erreur de réplication pourrait-elle poser problème? 

Toutes les solutions ESG de titres à revenu fixe entraînent une certaine déviation, la question est d’en connaître l’ampleur. Un bureau de gestion familiale ou un cabinet de conseil en placements peut choisir des solutions comme des obligations « vertes » et des billets liés au développement durable qui se négocient sur le marché des obligations hors cote, où les contraintes de liquidité peuvent parfois poser problème. 

Les bureaux de gestion familiale et les cabinets de conseil en placements sont également confrontés au fardeau du temps et des ressources financières que requiert une diligence raisonnable continue. Pour surveiller les risques liés aux facteurs ESG des émetteurs d’obligations, ils doivent s’abonner aux services coûteux de fournisseurs de données comme MSCI ou Sustainalytics (une société de Morningstar) et faire confiance à des sélectionneurs indépendants pour obtenir des renseignements stratégiques. Ces sources ont une compréhension propre – et souvent incohérente – des exigences ESG. Le fait est que l’investissement responsable signifie différentes choses pour différentes personnes, et même avec des services de filtrage ESG tiers, les bureaux de gestion familiale et les cabinets de conseils en placements se retrouveront tout de même avec un portefeuille d’obligations fondé sur des normes arbitraires. Ces différences les exposent au risque d’atteinte à la réputation et à une violation potentielle de leur obligation fiduciaire.


Les FNB d’obligations ESG à gestion passive offrent une solution

Selon nous, les FINB d’obligations sont la meilleure solution pour accroître l’exposition aux obligations ESG, non seulement parce qu’ils sont liquides et qu’ils se négocient en bourse, mais aussi parce qu’ils sont faciles à utiliser. Les avantages sont notamment les suivants : 

  • Plus grand consensus des parties prenantes. Les indices s’appuient sur des règles transparentes et uniformes qui sont accessibles au grand public et chaque membre de la famille ou client de la société peut accepter le consensus ou pas et aller de l’avant.
  • Erreur de réplication plus faible. L’utilisation de FNB d’obligations ESG indiciels réduit le décalage qui accompagne habituellement l’achat et la vente d’obligations vertes individuelles ou de billets liés au développement durable.
  • Plus grande uniformité. Comme indiqué précédemment, le fait de travailler avec plusieurs gestionnaires actifs peut donner lieu à des règles et normes divergentes. En revanche, une stratégie indicielle assure l’uniformité sur l’ensemble des régions et des mandats.
  • Moins de surprises liées à « l’écoblanchiment ». L’indexation permet de surveiller facilement le rendement des facteurs ESG au niveau de l’entreprise et du portefeuille, ce qui peut contribuer à éviter toute confusion au sujet des critères ESG.

Au final, un FNB ESG de titres à revenu fixe n’est pas conçu en fonction d’un résultat précis. Il ne se limite pas aux obligations vertes, mais comprend plutôt les sociétés dont le modèle d’affaires a atteint des normes ESG objectives; il s’agit donc d’un univers plus vaste. Les objectifs énoncés de la méthodologie de l’indice MSCI ESG Leaders, qui sous-tend les stratégies décrites ci-dessous, sont d’aider les investisseurs à remplir une obligation fiduciaire tout en assainissant leur capital. Par conséquent, bien que la révolution du marché des obligations ESG soit un peu tardive par rapport à celle du marché boursier, « mieux vaut tard que jamais » pour les bureaux de gestion familiale et les cabinets de conseil en placements qui cherchent un moyen simple d’intégrer des obligations axées sur les critères ESG au moyen de FNB.


Aide-mémoire sur l’investissement responsable

Le terme « responsable » est un terme général qui englobe les sous-catégories suivantes :

Investissement durableAccent mis sur les sociétés qui contribuent de façon positive à relever les défis sociaux et environnementaux.
Investissement thématiqueCible des enjeux ESG précis, comme les énergies renouvelables, les femmes occupant un poste de direction, les inégalités sociales, les normes du travail, etc.
Investissement éthiqueFiltres négatifs qui excluent les entreprises ayant une influence négative sur la société ou l’environnement, tout en évitant les actions « immorales ».
Intégration des facteurs ESGIntégration dans le processus d’analyse financière et comptable des facteurs ESG qui ont une incidence sur les sociétés afin que ces enjeux soient reflétés dans l’évaluation.
MobilisationLe fait d’engager le dialogue avec les sociétés en vue de soutenir et d’encourager des changements positifs dans la gestion des principaux enjeux liés aux facteurs ESG.
Investissement d’impactInvestissement dont l’intention explicite est de générer des avantages sociaux et environnementaux mesurables.



1 More CFOs Add Sustainability Targets to Corporate Loans, Wall Street Journal, September 20, 2021.

2 ESG Investors Warned of Shock’ Ahead Without Shift in Strategy, BNN Bloomberg, August 30, 2021.

3 L’obligation fiduciaire au 21e siècle (en anglais), UNEP, dernier accès le 6 octobre 2021.

4 ESG Considerations in fixed income: Rapid expansion trend continues, Russell Investments, July 5, 2021.